Marta de Menezes, 1999-2000
Article réalisé et rédigé par Zoé Lhomme Eap
L’œuvre Nature ? fait partie d’un courant artistique où la science investit le milieu de l’art regroupant artistes et chercheurs qui collaborent, celui-ci est appelé Bio-art.
Les papillons sont des insectes dont la beauté les caractérise. Celle-ci est notamment fondée sur la symétrie du motif des leurs ailes.
Nature ? les présente sous un aspect modifié par l’action de l’homme. Des papillons insolites dont le dessin sur leurs ailes ne fut jamais perçu dans la nature et n’apparaîtra qu’une seule fois. Marta de Menezes à travers cette « nature innovante » explore les possibilités du système biologique en créant de multiples motifs qui ne sont pas le résultat du processus d’évolution. L’artiste crée en laboratoire des papillons uniques dont le dessin des ailes devient dissymétrique, sur une des deux ailes elle ajoute ou supprime des ocelles et d’autres types de taches de couleur. Cette particularité graphique rend compte de l’identité du papillon à part entière, il est reconnaissable car celui-ci se retrouve alors avec à la fois une aile designée par l’artiste et une autre aile « naturelle ». L’installation présente les papillons designés par l’artiste évoluant dans un écosystème que les spectateurs peuvent contempler. Sur un petit écran une vidéo est projetée, tel un documentaire qui présente tour à tour ces insectes modifiés, permettant ainsi une focalisation plus précise sur chaque spécimen.


Une œuvre éphémère s’épanouissant le long d’une vie de papillon qui illustre le rapport entre l’art et la vie où l’œuvre vit et meurt littéralement. La nature devient donc le support de l’art où la diversité biologique fait office d’œuvre d’art. L’artiste appréhende les entités vivantes comme des organismes modifiables à l’envie, elle explore plastiquement les micro-organismes vivants, ici le papillon. Le corps devient alors un réservoir de substances, de tissus, de cellules et de gènes vus comme des éléments pouvant être réorganisées. C’est en cela que cette œuvre fait partie du Bio-art, en utilisant la matière biologique comme outil et matériau les bio-artistes façonnent de nouveau la nature, leur propre nature, et réalisent en laboratoire un panel de curiosités notamment des entités vivantes hybrides. Marta de Menezes parle même » d’art créé dans des tubes à essai et qui utilise les laboratoires comme ateliers « . Elle considère les biotechnologies comme un nouveau médium à explorer et à exploiter.

La biologie est un champ de découvertes majeur au cours du XXIème siècle. Dans ce contexte de révolution biologique notre rapport à la nature a évolué. Nous parlons de nature et d’environnements purs lorsque ceux-ci n’ont pas été conçus ou arrangés par l’homme. Cependant la nature porte depuis longtemps les marques de l’activité de l’homme, nous distinguons de moins en moins ce qui relève du spontané ou de l’artificiel dans notre écosystème. Nous avons en effet une certaine proximité entre la nature et la technique aujourd’hui. Les éléments fondamentaux du vivant que sont les cellules, les gènes etc tendent de plus en plus à devenir des outils fonctionnels, pouvant être synthétisés à des fins médicales et industrielles. Nous sommes dans la quête continuelle de ce qui est possible, repoussant de jour en jour les limites de la science ainsi que nos connaissances et nos techniques.
C’est dans le domaine de la biologie moléculaire que l’artiste Marta de Menezes a travaillé pour aboutir à Nature ? en collaboration avec plusieurs scientifiques du nom de A. Monteiro, M. Bax, K. Koops, R. Kooi et P.Brakefield. La biologie moléculaire requiert l’utilisation d’un microscope pour examiner et manipuler un organisme vivant à échelle moléculaire, cette discipline voit le jour grâce à la bio-ingénierie et la manipulation possible de l’ADN. Dans le cadre du laboratoire de Paul Brakefield spécialiste dans l’évolution des motifs des ailes des papillons, cette équipe a développé ce projet à l’Université de Leiden en Hollande. De nouveaux procédés de transformation des structures inhérentes à la matière biologique sont convoqués, c’est au cœur de la cellule que se déroule l’intervention. L’artiste se concentre sur le domaine de l’embryologie et des protéines où elle manipule le développement embryonnaire des papillons lors de leur chrysalide (à l’état de nymphe). Marta de Menezes va intervenir à l’aide d’une aiguille sur des zones déterminées, celles qui définissent les motifs des ailes, pour les refaçonner. Cette manipulation à but artistique ne concerne pas les gênes de l’organisme vivant, et donc laisse le génome intact. Cependant elle est vue comme une modification d’individu.


Nature ? aborde la question du rapport entre l’art et la vie comme expliqué précédemment. La nature devient un médium artistique et celle-ci donne par conséquent une durée de vie à l’œuvre d’art. Mais justement, utiliser le micro-organisme qu’est le papillon pour en faire une œuvre d’art pose notamment le problème du respect de l’être vivant. L’action de l’homme va transformer la nature dans un but esthétique, ce geste est certes créateur mais aussi manipulateur, celui-ci impliquerait la supériorité de l’être humain sur les autres espèces. Nous pourrions même aller jusqu’à nous demander s’il ne se prendrait pas alors pour Dieu ? D’autre part le fait de modifier l’apparence d’un papillon pourrait tout aussi bien s’appliquer sur d’autres êtres vivants. Un débordement qui amènerait vers l’amélioration de la nature tel l’eugénisme par exemple, une idée qui est totalement niée par l’artiste : « En aucun cas je n’ai l’intention d’améliorer l’apparence de la nature. Je n’ai pas non plus l’intention de rendre quelque chose encore plus beau qu’il ne l’est déjà ! ». Un discours qui illustre sa volonté d’émancipation biologique de la nature à travers le bien-fondé des expérimentations artistiques in vivo. Un souhait qui se trouve à l’opposé de la peur fondée ou infondée entraînée par les nouvelles possibilités offertes par la révolution biologique et les nouvelles techniques telle que la faculté de modifier la nature.

Une seconde œuvre art et science de Marta de Menezes que nous pourrions aborder serait Conviver (to coexist), qu’elle créa en 2007. Le concept était de recréer un écosystème mais dans un contexte bien particulier, celui du musée. Elle y faisait le parallèle direct entre la vie (l’écosystème) où les spectateurs devenaient acteurs et les représentation de la vie (peintures, sculptures du musée) où leur statut est contemplateur. En effet, les spectateurs-acteurs avaient la capacité de s’occuper de cet écosystème en le nettoyant, le changeant etc mais pouvaient aussi simplement en le contempler. L’artiste présenta cette œuvre pour poser la question si demain les musées permettront à des œuvres vivantes d’être exposées aux côtés des autres œuvres plus « traditionnelles » ; où le domaine de l’art et science serait aussi visible qu’une œuvre de « grand maître ».

Biographie de l’artiste
Marta de Menezes est une artiste portugaise née à Lisbonne en 1975. Diplômée des Beaux Arts de l’Université de Lisbonne ainsi qu’en Histoire de l’Art et Culture Visuelle de l’Université d’Oxford, elle est actuellement candidate en vue d’un doctorat à l’Université de Leiden. Le croisement entre art et science constitue son domaine d’exploration et d’expérimentation au sein de laboratoires afin de démontrer que les nouveaux procédés en biologie peuvent êtres considérés comme de nouveaux médiums en art. Nature ? est sa première œuvre art et science en 1999. Ce projet marqua le début de ses utilisations multiples du médium de la biologie à des fins artistiques. Son travail est reconnu internationalement, en effet il est représenté lors d’expositions dans le monde entier à plusieurs reprises ; plus récemment lors de sa rétrospective en 2018 Synthetica par Edinburgh International Science Festival, Summerhall et ASCUS Art & Science.
Ectopia constitue un laboratoire artistique expérimental à Lisbonne et Marta de Menezes en est la directrice. Il accueille des artistes d’horizons multiples intéressés par ce croisement entre art et science. C’est en collaboration avec des chercheurs que des travaux artistiques et scientifiques voient le jour. Une collaboration portée par des rencontres et des discussions entre les deux corps de métiers, tels que des séminaires visant à encourager le développement de ces projets communs. Ceux-ci ont pour vocation d’être présentés publiquement lors d’expositions, d’articles ou encore sous forme de discours.
Interview de Marta de Menezes
Bibliographie sur l’œuvre et l’artiste
Site de l’artiste, https://martademenezes.com
VOISON Stéphanie, L’art contemporain au prisme des biotechnologies, https://journals.openedition.org/amnis/2171
WILSON Stephen, Art + science, Thames and Hudson, 2010.
Article réalisé dans le cadre d’un projet tuteuré par Madame Dominique Peysson (2019).
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